Violences sexuelles : la parole des victimes de plus en plus audible

Chaque jour de nouveaux cas, de nouvelles plaintes... les langues se délient, des voix s'élèvent. L'actualité, avec notamment l'affaire Bétharram ou le procès de Joël Le Scouarnec, ce médecin poursuivi pour 300 viols et agressions sexuelles, sur des mineurs essentiellement, fait exploser au grand jour l'un des maux de l'humanité : la violence envers les enfants et les violences sexuelles.
160 000... « En 2024, 160 000 enfants ont été victimes de violences sexuelles en France rappelait Marc Ferrero Psychologue clinicien, co-auteur de L'enfant et ses complexes. Toutes les 3 minutes en France, un enfant est victime d'abus sexuels. Mais la parole des enfants est enfin prise en compte, cela évolue. »
Pourquoi on s'attaque à des enfants ? Comment nait cette envie de faire mal, de broyer les enfants et leur avenir ?
Au Soudan, au Congo ou en Russie, le viol est une arme de guerre. Mais plus proche de nous, le mal est aussi caché dans toutes les strates de la société.
« Au Québec, il y a un axiome qui dit que là où il y a des enfants, il y a des pédophiles explique Marc Ferrero. L'enfant est une proie facile pour les pédophiles. Il représente pour ces prédateurs la vie, l'avenir, ce que l'adulte n'est plus. En agressant l'enfant, il va revivre quelque chose de sa propre vie, c'est une sorte de bain de jouvence. Mais cela touche tous les milieux comme le cinéma, le sport, l'école, la famille... »
Le collectif des anciens élèves victimes de violences physiques et sexuelles à Bétharram près de Pau a déposé 48 nouvelles plaintes début avril au parquet de Pau, portant ce nombre à 200. Si les faits sont a priori tous prescrits à part deux, l'une de ces 48 plaintes porte sur des faits de viol en réunion commis par deux prêtres. Sur les 200 plaintes, 90 portent sur des faits à caractère sexuel.
Mais ces attaques envers les mineurs se font hélas dans d'autres sphères que les milieux religieux.
« Cela arrive dans l'enseignement privé comme dans l'enseignement public mais dans les établissements privés, les contrôles sont insuffisants rappelle Marc Ferrero. Les internats privés sont plus nombreux que les internats publics. Le pourcentage est plus élevé mais il y en a aussi dans les établissements publics. Certains disent que le secret de la confession est plus important que les lois de la République pour reprendre les propos d'un évêque. Le prêtre a une autorité morale sur les enfants, ils n'osent pas dire ce qu'il se passe et ce qu'ils ont vécu car on leur a enseigné qu'il représente Dieu sur terre. Cela lui donne une autorité importante. On va nous dire que l'on s'expose aux foudres divines. Les religions s'autorisent un certain nombre de choses. »
Le célibat des prêtres entraîne une sexualité bridée, l'abstinence. C'est aussi le sentiment d'impunité sur les directeurs de ces établissements ou les religieux qui en découle.
Pour certains, la violence physique comme morale est un levier éducatif. « Dans la religion chrétienne, la violence, la douleur, c'est une rédemption explique Marc Ferrero. Tu enfanteras dans la douleur... Il y a une forme de sacralisation de la douleur. Si vous avez souffert sur terre, vous avez mérité votre paradis. C'est une forme d'expiation pour les chrétiens. »
Loi du silence dans l'internat
« Bétharram ce n'est pas le seul établissement mis en cause rappelle Marc Ferrero. Quand la parole se libère, les plaintes se multiplient. Il y a des milliers d'enfants qui ne disent rien car leur parole risque de ne pas être crue. C'est le vrai problème mais aujourd'hui nous avons beaucoup évolué. La parole des enfants est prise en compte. Par nature, ce que dit un enfant est cru aujourd'hui. Il faut bien sûr enquêter mais on ne peut pas expédier cette parole en disant c'est une invention. On fait aujourd'hui des enquêtes très poussées. À Lyon, par exemple, grâce au Procureur Jean-Olivier Viout, les témoignages étaient enregistrés en vidéos pour que la parole des enfants ne soit pas déformée et elle peut évoluer avec les répétitions du discours. Ils seraient moins crédibles et souvent les questions étaient orientées. »
Dans son dernier livre, « Un homme seul », l'auteur Frédéric Beigbeder dévoile les violences infligées aux pensionnaires de l'abbaye-école de Sorèze, dans le Tarn, dont son père faisait partie. « Le sommet de l'abjection, c'est de grandir loin de ses parents et en plus d'être frappé, méprisé, martyrisé expliquait-il dans La Dépêche du midi le 23 mars. Cette éducation à la dure (le mot est faible) a eu des conséquences néfastes sur toute une génération d'hommes dont l'enfance a été saccagée. »
S'il y a violences physiques on peut soupçonner des violences sexuelles ?
« Cela intervient dans les espaces interstitiels comme les appellent les psychologues explique Marc Ferrero. Là où on va se déplacer, le moment du coucher, de la toilette... comme les chambres, les couloirs, les dortoirs, les douches... Là où les enfants devraient être dans leur intimité, ils sont visités et agressés. »
Aussi, 50 % des enfants placés sont victimes d'abus sexuels avant leur arrivée.
L'enfant en manque d'affect recherche de l'affection et certains adultes en profitent. « Les enfants hospitalisés aussi qui ne font plus la différence entre les soins et les caresses analyse Marc Ferrero. Les prédateurs savent localiser les enfants, abandonnés, livrés à eux-mêmes ou qui cherchent de l'affection et qui n'instaurent pas de distance physique avec l'adulte. C'est leur façon d'être, ils ne sont pas en cause car c'est à l'adulte de savoir les limites. L'enfant ne sait pas à quoi il s'expose, il n'est pour rien dans ces agressions. L'enfant ne provoque pas. »
Triste Tigre de Neige Sinno, La familia grande de Camille Kouchner... il y a toute une littérature autour de l'inceste et la majorité des cas intervient dans la sphère familiale.
Quels signaux alertent ?
Repliés sur eux-mêmes, dans un état de sidération face aux adultes, en échec scolaire victime de diarrhée, de maux de ventre ou avec un retard de langage... des signaux peuvent alerter.
« Certains ont des troubles du sommeil, sont dépressifs, anorexiques, boulimiques ou ont une scolarité perturbée. Il y a une multitude d'exemples qui montrent que les enfants sont profondément perturbés. Certains enfants expriment cela par le dessin. Ils dessinent des formes qui font penser à des organes sexuels. Les enfants qui révèlent d'eux-mêmes un abus sexuel disent habituellement la vérité. Parfois certains enfants mentent mais il faut toujours prendre en considération sa parole. Après la justice fera son travail et si les faits sont exacts, il est d'autant plus important qu'il soit entendu et que sa parole soit considérée comme fiable. C'est très important pour que l'enfant quitte son statut de victime et commence un travail psychique, pour continuer à vivre. »
Le professionnel qui suspecte un abus sexuel et qui ne prend pas les mesures de protection nécessaires est lourdement responsable du point de vue éthique et pénal.
Pour faire un signalement, il n'est pas nécessaire d'avoir la certitude ou la preuve de l'abus, ni de savoir qui est l'auteur. On peut appeler le numéro 119. « Donnez à votre enfant les moyens de se protéger : informez-le, apprenez-lui à trouver des solutions par lui-même sans paniquer explique Marc Ferrero. Écoutez-le. Parlez-lui. »
Impacts
Être abusé, c'est dévastateur pour une vie. Pour sa vie dans la société, avec parfois l'impossibilité d'exprimer ses sentiments, du mal-être... Seule façon c'est la parole, comme une thérapie.
Mais certains enfants ne parlent pas, par peur de ne pas être crus, de faire mal à ses parents, ou par honte ou perte de confiance.
« Certains se suicident ou sont incapables d'avoir une vie affective normale. Ils présentent de nombreux symptômes psychotiques ou psychosomatiques... Il y a une palette de symptômes qui font que l'on peut difficilement vivre de façon ordinaire dans la société. L'alcoolisme aussi est présent. La seule façon de s'en sortir, c'est la parole, c'est pour ça qu'aujourd'hui nous avons beaucoup de personnes vindicatives, à juste titre d'ailleurs, qui revendiquent des sanctions pour les agresseurs. S'exprimer et être reconnu c'est la seule façon d'avancer. Écrire aussi c'est une forme de catharsis. »
Le voisin sympa qui vous propose de venir se baigner dans sa piscine, le tonton un peu trop affectueux, l'éducateur sportif... Faut-il alors devenir parano et se méfier de tout le monde quand on laisse son enfant pour des activités scolaires ou de loisir ?
« Ce n'est pas rassurant mais en crèche ou dans les écoles, il y a des personnes attirées par les enfants rappelle Marc Ferrero. Normalement, un extrait numéro 3 du casier judiciaire est demandé mais certains passent au travers des mailles. C'est pour ça qu'il faut en parler avec ses enfants avant l'adolescence pour aborder la question du corps qui appartient à l'enfant. Leur intimité aussi. On trouve des livres aussi en France pour les alerter là-dessus. Personne n'a le droit de toucher son corps à part ses parents pour certaines occasions comme la toilette. Il faut l'enseigner aux enfants dès le plus jeune âge. Françoise Dolto prônait cela aussi, le corps de l'enfant lui appartient et il est interdit de le toucher. »
Il ne doit pas y avoir de confusion des langues quand un enfant dit je t'aime à un adulte. Il n'y a pas de connotation sexuelle, c'est de l'affection. « J'aime bien ma maman, j'aime bien mon papa... ce n'est pas pour ça que l'on passe à l'acte... Ce que les pédophiles ne comprennent pas explique Marc Ferrero. Longtemps, l'enfant a été considéré comme un adulte en miniature... Mais non, l'enfant est un adulte en devenir. »
L'enfant et ses complexes aux Ed. Mardaga. 288 p. marcferrero@wanadoo.fr. Numéro vert « 119 - Allô enfance en danger.

0 commentaires