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Éric Serfass : « Le trafic, une menace permanente »

08h57 - 01 octobre 2025 - par Info Clermont Métropole
Éric Serfass : « Le trafic, une menace permanente »
Éric Serfass, le nouveau procureur de la République de Clermont-Ferrand.

Éric Serfass est depuis septembre le nouveau procureur de La République de Clermont-Ferrand. À 63 ans, l'ancien directeur de la Juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (Junalco) succède à Dominique Puechmaille pour un dernier mandat placé sous le signe de la lutte contre le trafic de drogue mais pas seulement. 

Tout d'abord, quel est le rôle d'un procureur ?

Le rôle du parquet, de ses magistrats et du procureur c'est de défendre les intérêts de la société. À travers la défense du respect de la loi, c'est la défense des intérêts de la société donc des intérêts collectifs. Quand on pense à procureur de la République, on pense surtout à infraction et pénal mais le parquet s'occupe aussi d'affaires civiles. Le parquet est chargé de la protection des personnes et notamment de celles qui ne sont pas capables de se protéger elles-mêmes comme les mineurs, les majeurs protégés, les personnes âgées pour les tutelles... C'est une partie importante notamment pour l'enfance en danger et les tutelles pour ceux qui sont vulnérables, sur une partie du parquet : le parquet civil. En lien avec le juge des enfants. Aujourd'hui sur Clermont-Ferrand, il y a un focus très important sur le Narcotrafic mais pour le parquet, tout est important. Car il est chargé de toutes les infractions comme les violences intrafamiliales, les infractions routières, les atteintes aux biens avec les cambriolages, la violence à travers les rixes... et puis la criminalité organisée qui aujourd'hui se manifeste beaucoup par le narcotrafic mais aussi par les vols en bande organisée, par le proxénétisme par la criminalité financière, la corruption et la cybercriminalité, qui est un sujet montant et qui peut créer beaucoup de dégâts à la société. 

On n'occulte rien ?

Non, même si aujourd'hui le narcotrafic est important. Car il concerne une partie importante de la société en termes de consommation de drogues, de plusieurs drogues mais cela se manifeste aussi en ville ou à sa périphérie par des manifestations violentes. S'il n'y a pas de manifestations violentes, c'est également inquiétant car cela veut dire que le narcotrafic se passe « tranquillement » avec une organisation criminelle, car il n'y a pas de narcotrafic sans une organisation criminelle structurée, avec une organisation criminelle qui domine le marché local et qui n'a pas de concurrence. Quand il y a, comme le dimanche 14 septembre au soir, des tirs à arme à feu ou comme cet été ou comme depuis le début de l'année, ce sont les symptômes que le trafic est perturbé, qu'il est en concurrence car telle ou telle organisation criminelle veut prendre la place. Ce sont des symptômes mais ce n'est pas par ce qu'il n'y en a pas qu'il n'y a pas un problème très important de narcotrafic. Même s'ils sont dramatiques car on ne peut pas accepter qu'il y ait des échanges de tirs d'armes à feu ou des attaques et blessures avec des couteaux. Et même sans ça, on ne peut pas accepter que l'espace public soit occupé par des acteurs du trafic de stupéfiants, des petits ou des gros qui occupent la place et qui vendent de la drogue sur la place publique.

Le fait que ce soit des villes moyennes comme Clermont-Ferrand ou Limoges qui soient touchées par ce narcotrafic, qu'est-ce que cela révèle du narcotrafic en France et en Europe ?

La consommation existe partout, dans les grandes et moyennes villes, les petites et dans les campagnes. Pas tous les types mais cela existe. Ce n'est pas nouveau. Un article récent disait qu'il y avait une certaine baisse de la consommation chez les jeunes. C'est possible. Mais cela veut dire qu'il n'y a pas que les jeunes qui consomment des stupéfiants. Le cannabis, des jeunes d'il y a 30 ans ont continué à en consommer. Et il y a la cocaïne, une drogue consommée par toutes les catégories socio-professionnelles. Ce n'est pas propre à une certaine catégorie sociale ou à une tranche d'âge, milieu aisée ou en difficulté.

Quand il y a une consommation sur tout le territoire, les organisations criminelles souhaitent se rapprocher des points de vente pour avoir moins d'intermédiaires et contrôler le marché. C'est inéluctable que des villes et des petites villes soient approchées.

Depuis fin juillet, la ville de Clermont-Ferrand fait officiellement partie du dispositif national « Villes de sécurité renforcée » (VSR). Qu'est-ce que cela apporte comme outils supplémentaires ?

C'est la continuation des opérations « XXL », des opérations ponctuelles, alors que le label Villes de sécurité renforcée, décidé pour certaines villes, permet d'avoir dans la durée, des moyens importants pour pouvoir assurer la neutralisation ou la perturbation des points de vente de drogue. Quand il y a une reconnaissance de VSR pour une ville, c'est la possibilité de pouvoir discuter avec la Préfecture et le ministère de l'Intérieur de l'allocation de moyens non pas ponctuels mais sur une durée plus longue. Des moyens en hommes et en forces et des outils juridiques.

Bruno Retailleau, le ministre de l'Intérieur est venu à Clermont-Ferrand début septembre. Quel bilan faites-vous de cette visite et des annonces ?

Ce qui est intéressant c'est que le ministre a décidé et annoncé l'allocation de moyens en force de sécurité publique, à la main du Préfet pour pouvoir surveiller et neutraliser des points de deal. Mais il a aussi insisté, et c'est intéressant pour la partie judiciaire, sur le « temps long ». C'est-à-dire le temps judiciaire, du temps qui permet de développer en profondeur des enquêtes judiciaires. Le recrutement de type CRS ou d'escadron mobile mais également de police judiciaire qui sont des enquêteurs chevronnés permettant de mener des enquêtes de fond nous permettant de démanteler des organisations criminelles. Pas du très haut du spectre, car c'est plus du ressort de juridiction interrégionale spécialisée ou de la JUNALCO (Juridiction nationale de lutte contre la criminalité), mais pas seulement les vendeurs (les « charbonneurs ») ou les guetteurs mais des personnes plus haut placées dans la hiérarchie. Ce sont des enquêtes menées de façon secrète pendant des semaines ou des mois pour pouvoir ensuite déboucher sur des opérations judiciaires d'arrestations, perquisitions d'acteurs du groupe criminel organisé qui auront été identifiés par des techniques spéciales d'enquête. Ces enquêtes peuvent être dirigées par le parquet voir par le juge d'instruction si le parquet saisit un juge d'instruction qui aura un pouvoir d'investigation plus important.

« la cocaïne, une drogue consommée par toutes les catégories socio-professionnelles »

Donc cette visite du ministre est plutôt productive dans le travail de fond plutôt que dans l'annonce de gros renforts en hommes ?

Les deux. Il y a aussi le travail de fond et le ministre a insisté sur l'importance du travail de fond et de la place judiciaire dans la lutte contre le narcotrafic. Même si tout le monde est d'accord pour dire que la justice seule n'y arrivera pas, comme la Ville ou la Police seule... C'est important d'avoir un travail partenarial et c'est ce qui est engagé aujourd'hui avec du travail commun entre les différentes autorités de l'État : Justice, Préfecture, Police mais aussi en lien avec les villes et c'est important. Avec un certain partage de l'information, sous réserve du secret de l'enquête, un travail commun car le judiciaire a des pouvoirs importants de contraintes mais l'autorité préfectorale a des nouveaux pouvoirs de mesures administratives à travers des interdictions de paraître, des fermetures de commerce et à travers l'expulsion de locataire dont on aurait des indices sérieux pour dire qu'ils participent à un trafic. Ce sont des outils complémentaires qui obéissent à des règles différentes mais qu'il est intéressant d'actionner de manière coordonnée. Il y a une division des métiers importante. C'est important de parler d'organisation criminelle qui concerne tous les niveaux. Elle va de son « cheuf » qui est peut-être à Dubaï jusqu'aux petits vendeurs et aux guetteurs. Le niveau de faute pénale n'est pas le même mais ce sont tous des acteurs d'une organisation criminelle.

Des réseaux qui s'étendent dans le monde entier avec des moyens qui se rapprochent de ce que l'on voit dans les séries ?

Ce sont des organisations criminelles très professionnelles mais pas forcément comme l'est une mafia italienne ou Corse, très familiale et clanique avec des gens qui se connaissent et une solidarité. Ces organisations du narcotrafic ont une division des tâches avec des personnes qui ne se connaissent pas forcément. Et qui sont facilement interchangeables. Quand elles disparaissent, soit car on les a éliminés soit car elles sont en détention, elles sont remplacées tout de suite. C'est difficile à accepter car elles sont remplacées par des appels à « candidature » par internet, avec des personnes jeunes ou moins jeunes, mais beaucoup de jeunes, qui répondent pour aller vendre, transporter ou tirer des coups de feu de manière très facile. Ça, c'est vraiment très préoccupant car il y a une facilité de passage à l'acte et une acceptation de participer à un réseau, avec une contribution en étant payé et de l'argent facile, hors la loi. Il y a une agilité : quand la police et la justice empêchent le trafic ou une partie, ce réseau arrive rapidement à contourner. Quand les grands ports de la mer du Nord comme Rotterdam et Anvers sont plus contrôlés et bien le trafic arrive par les ports français, le Golfe de Guinée et l'Espagne puis par voie routière. Cela, on l'observe avec de nouveaux modes de fonctionnement, une agilité et une rapidité extrême. La drogue arrive par la navigation commerciale, les porte-conteneurs, les voiliers, l'aviation commerciale avec les mules, les avions privés et même des sous-marins, semi-submersible qui traversent l'atlantique. 

Ce sont des moyens extraordinaires, comment lutter au niveau national et international ?

L'idée c'est de contrôler plus les points de passage, les ports, les aéroports, les frontières, les routes. Autour de Clermont-Ferrand il y a un effort très sérieux de la Gendarmerie et des douanes pour contrôler les fluxs. Mais on ne peut pas tout contrôler. Les organisations criminelles, sur ces points de passage et de contrôle actionnent la corruption. Privé ou public, il n'y a pas de criminalité organisée sans corruption. C'est une menace importante sur l'état de droit aujourd'hui y compris en France. Et sûrement plus que le terrorisme car c'est une menace permanente. Massive et permanente. 

Retrouvez la suite de cet entretien le 14 octobre. 

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