Sécurité : « Épargné, Clermont rattrape certaines villes »
Points de deal, vidéo protection, effectifs, organisation, moyens humains... Alors que la sécurité dans Clermont-Ferrand suscite des interrogations et des craintes, Jérôme Godard, adjoint au maire en charge de la tranquillité publique et de la sécurité depuis 2014 a répondu à nos questions.
Vous êtes un peu le "Monsieur sécurité de la Ville ?
Oui et le premier car avant cette délégation existait mais elle était affiliée au maire ou au premier adjoint mais il n'y avait pas d'adjoint à la sécurité. Cela a été une création de la part d'Olivier Bianchi. Avant 2014, cela n'était pas "nécessaire" mais l'évolution de la société fait que c'est plus utile. Notre Police municipale a été réorganisée et encore plus professionnalisée. À l'origine la Police municipale est uniquement faite pour appliquer les arrêtés du maire. Mais aujourd'hui elle fait plus que ça : de l'îlotage, du renseignement, du dialogue et du signalement à la Police nationale qui elle est plus compétente dans certains domaines et a un rayon d'action plus grand. Nous n'avons aucun pouvoir d'investigation ni d'enquête. Sur les grosses problématiques qui créent des tensions sur l'espace public, qui sont liées le plus souvent à du trafic de drogue, on est souvent impuissants car on n'a pas les outils pour.
Comment travaillez-vous avec la Police Nationale, le Préfet ou la Procureure ?
Il y a des instances que nous pilotons, des instances Ville, sur lesquelles sont invités des partenaires : l'observatoire de la vie urbaine, la Police, les renseignements territoriaux, l'éducation nationale, les bailleurs sociaux, les services sociaux de la ville, de la tranquillité publique… Nous faisons un état des lieux de la ville tous les deux mois en listant les problèmes. Il y a aussi le CNSPD, le Conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance. Il engendre beaucoup de politique de prévention, de renseignements, par exemple quand des jeunes commencent à s'approcher de groupes de trafiquants. On se rapproche des familles pour les accompagner par des référents parcours. C'est un gros outil de prévention. Puis nous sommes associés à des dispositifs pilotés par la procureure comme le GLTD, le Groupement local de traitement de la délinquance. Et enfin, les GPO, Groupes de partenariat opérationnel, où se décident les opérations de Police à venir.
Il y a beaucoup de prévention mais ne manque-t-il pas de répression comme le demande l'opposition ?
Il faut de la répression et on en fait. Mais la réponse à la délinquance n'est pas le tout répression. Cela ne suffit pas. Plus on fait de la répression et plus on a de représailles. Nous sommes toujours partis sur un triptyque : l'aspect prévention sur le très long terme avec par exemple le jeu de la citoyenneté inventé par la Police municipale, pour sensibiliser aux addictions et aux violences intra familiales. Il y a ensuite la phase intermédiaire, avant la judiciarisation et ensuite la répression. Qui n'est pas la seule réponse. On essaye de traiter les problèmes en amont pour éviter la répression.
Est-ce que les problèmes de deals ou de violences sont cantonnés à certains quartiers où on les retrouve sur l'ensemble de la ville ?
La consommation de drogue est sur l'ensemble de la ville. Ce n'est pas un problème de deal mais de consommation. La consommation peut se passer dans des appartements mais aussi des petits parcs urbains. C'est partout et cela génère un sentiment d'insécurité. Sur la Ville, nous avons trois gros points de deals : La Gauthière, Saint-Jacques et l'avenue Charras via la Visitation. Et il est très probable que les trois soient liés.
On avait pourtant dit qu'avec la chute de la « Muraille de Chine » cela allait chasser les dealers…
Non, cela n'a fait que déplacer le point de deal. À notre niveau et même au niveau de l'État, on ne sait pas éradiquer la vente de drogue. On ne sait pas ou en tout cas on ne se donne pas les moyens de le faire. Quand il y a des actions, cela déplace les points de deals. Au niveau de la Ville, nous n'avons aucun moyen d'agir sur les points de trafic. Nous sommes plutôt dans l'idée de les déplacer aux endroits où ils gênent le moins. La Police Municipale n'a aucun moyen de contrôle ou d'investigation. Quand on les prend en flagrant délit, ou avec nos caméras, on le signale à la Police nationale. Même les dealers de rue n'ont rien sur eux ou presque. Tout est caché dans les haies, les appartements ou les coffres électriques donc il y a juste un rappel à la loi. Quand on attrape des quantités plus importantes on n'arrive pas à identifier à qui cela appartient. Nous n'avons aucun pouvoir d'investigation ni d'enquête. Sur les grosses problématiques qui créent des tensions sur l'espace public, qui sont liées le plus souvent à du trafic de drogue, on est souvent impuissants car on n'a pas les outils pour agir.
Quelles sont les aides de l'État pour contrer ce trafic ?
Nous avons le Fonds d'intervention pour la prévention de la délinquance qui sert beaucoup à l'installation de caméras de vidéo protection. Mais on se heurte à une lenteur de l'État. Nous avons acté l'installation de 8 caméras cette année et on attend la réponse du FIPD pour pouvoir les installer… On a demandé au Préfet qui a fait remonter au ministère. On sait que le fonds va être attribué mais on doit attendre… Soi-disant cela a pris du retard avec les Jeux olympiques… Pour embaucher un Policier municipal venu de la nationale ou de la gendarmerie il nous faut un an pour le mettre sur l'espace public à cause de la formation. Alors qu'il portait une arme létale que l'on n'a pas…
Vous n'avez pas forcément tous les moyens d'action mais vous travaillez avec la Police nationale, la Préfecture et la Procureure…
La Ville de Clermont-Ferrand a des très bonnes relations avec ses partenaires et acteurs. On discute beaucoup et on échange énormément d'informations pour aller au plus juste. Chacun détient des informations ou des signalements, même l'éducation nationale.
Comment voyez-vous l'évolution du trafic et de consommation de drogues dures ?
Malheureusement pas dans le bon sens. Selon la Police Nationale, aujourd'hui, dans les différentes saisies, la drogue dure est en forte augmentation. On arrive quasiment à 40 % de drogue dure par rapport aux autres drogues. Très souvent on commence par l'alcool, on fume un joint de cannabis ou de résine, on prend du protoxyde d'azote puis quand ça va moins bien on prend de la cocaïne… C'est ça le cocktail qui est terrible. Le prix de la cocaïne a baissé et en plus, la production de l'Amérique du Sud en direction de l'Europe a doublé en un an. Il y a donc une demande… Dans les saisies, on retrouve des pochons avec du cannabis, de la résine et des pochons de cocaïne à chaque fois.
Clermont est devenu un « petit Marseille » comme disent certains ?
C'est très exagéré et pour en parler avec France Urbaine et nos collègues des autres grandes villes de France, Clermont est malgré tout épargné, même si on « rattrape » certaines villes, comparée à des Saint-Étienne, Bordeaux, à des Toulouse ou à des Grenoble. Clermont « partait de très loin », c'était ça la différence. Ce sont des phénomènes que nous ne connaissions pas et nous sommes sur un phénomène de rattrapage. Cela choque tout le monde forcément mais on est encore loin des problèmes des autres villes. Mais, oui, après avoir été une ville tranquille, une gamine toute seule dans Clermont à une heure du matin, c'est non, c'est ça la vérité. On croise des personnes louches… Il y a 30 ans, on était la nuit comme en pleine journée à la campagne, ce n'est plus le cas. Sur la drogue, c'est qu'il y a une demande. Et tout se mélange aujourd'hui avec les drogues douces et l'alcool. Notamment chez les jeunes qui associent différentes drogues pour aller plus loin.
Les caméras ou les trois policiers à motos, qu'est-ce que cela apporte concrètement ?
La vidéo-protection nous permet de détecter plusieurs choses mais elle sert essentiellement dans le cadre d'enquête judiciaire sur l'espace public. Du coup on regarde les enregistrements et cela aide beaucoup. Cela nous sert aussi à savoir qui sort ou qui rentre du quartier. Mais c'est toujours en cas de problème. Sur le secteur de Jaude et autour nous avons une quarantaine de caméras et sur la Ville 120 environ sans compter les caméras dans les zones d'activité économique. Je parle de points de visionnage. Nous réfléchissons à passer sur des systèmes de vidéo-verbalisation sur des stationnements gênants et récurrents, sur les voies cyclables obligeant les cyclistes à faire un écart ou sur les passages piétons. Il ne s'agit pas de faire de la vidéo-verbalisation pour du stationnement régulier.
Les motos, elles, sont là pour accompagner des manifestations, mais aussi pour avoir des moyens d'intervention plus rapides. Cela va être dédié aux contrôles routiers mais pas seulement.
Pouvez-vous faire un point sur les effectifs de Policiers municipaux ?
Là aussi, l'idée n'est pas d'augmenter le nombre de policiers, comme le voudrait la Droite, quand il y a un problème. On détermine plutôt les missions dont nous avons besoin et on met les effectifs en face. Cela ne veut pas dire que l'on arrive exactement à le faire car le recrutement des Policiers municipaux est très compliqué. En 2014, nous avions 34 policiers et nous allons arriver fin 2024, c'est voté, à 60 postes ouverts. Aujourd'hui il y en a 54 donc nous espérons recruter 6 policiers d'ici la fin de l'année. Et les 54 sont quasiment tous pourvus. Certaines polices municipales annoncent leur effectif mais en fait il manque de policiers… Cela n'a pas de sens. On est à 60 et en 2025, on a voté pour avoir 5 postes supplémentaires, donc 65.
Mais tout cela est assorti à des missions : on a augmenté de 9 à 12 personnes pour la brigade de soirée. Nous sommes à 3 pour les policiers à motos mais cela pourrait monter à 5 et on vient de créer une brigade canine qui pourrait doubler. C'est en fonction des besoins. Avec France urbaine, sur le manque de Policiers municipaux actifs, on essaye de faire appel aux ATPM, les assistants temporaires des Policiers municipaux. Des agents autorisés dans les milieux touristiques aujourd'hui.
Ce que l'on demande à l'État, c'est d'élargir cette notion aux grandes villes, de faire un élargissement à deux ans le temps de les former et de pouvoir les intégrer à notre police. Car on n'arrive pas à recruter partout en France. À Clermont-Ferrand, nous sommes à quasiment 100 % de taux de remplissage, tous les postes sont presque pourvus. Nos policiers ne sont pas si mal ici, ils restent et trouvent un équilibre.
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