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Eric Maillaud : « une délinquance stable »

08h56 - 02 novembre 2020 - par Info Clermont Métropole
Eric Maillaud : « une délinquance stable »
« Ce que je trouve désolant, c'est la bêtise humaine », déplore Eric Maillaud, le procureur de la République. - © (Jean-Paul Boithias)

Magistrat du ministère public, chargé de l'action publique dans le ressort du tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand, Eric Maillaud occupe les fonctions de Procureur de la République. Présent depuis plus de quatre ans en Auvergne, cet homme discret évoque la délinquance dans le Puy-de-Dôme et parle de son métier, où l'on ne « décroche jamais vraiment. »

Peut-on rappeler ce qu'est un Procureur de la République et que représente le « Parquet » au Tribunal judiciaire de Clermont ?

Le plus connu dans la fonction, c'est le traitement de toutes les procédures, toutes les plaintes, c'est à dire la supervision du traitement de la délinquance. Le rôle du Parquet consiste à collationner l'ensemble des plaintes, des procédures, des récriminations laissant paraître qu'il y aurait peut-être une infraction de commise, de faire diligenter les enquêtes et ensuite de choisir la meilleure des réponses pénales à apporter. Mais nous subissons un problème de flux, très clairement. Les gens ne s'en rendent pas forcément compte. 40.000 saisines par an arrivent au Parquet de Clermont. Celles-ci sont traitées en moyenne par 12 magistrats. Comme c'est le cas partout en France, il y a des plaintes, souvent pour des dégradations, déposées contre des gens que l'on n'identifiera jamais. Sur les 40.000 plaintes et procédures de tous ordres, 10.000 font l'objet d'une étude approfondie de la part des magistrats. Cela donne une idée de la charge de travail.

Quelle est la tendance au niveau de la délinquance en 2020 dans le Puy-de-Dôme ?

Globalement, cette tendance est stable. Le Puy-de-Dôme reste un département relativement calme. Il ne se distingue pas par une extrême violence. Les faits constatés sont assez stables sur les 4 ou 5 dernières années, de l'ordre de 30.000 par an. Ce chiffre concerne les crimes, délits et contraventions de 5e classe. Je mets à part les problèmes de stationnement ou de feux rouge grillés. 17.000 sont commis dans la zone police et 13.000 dans la zone gendarmerie.

Quelles sont les spécificités de la délinquance sur la Métropole clermontoise ?

On ne peut pas parler de spécificités clermontoises. Cela concerne plutôt certaines grandes zones urbaines comme la région parisienne, Marseille ou Lyon. Ici, on reste sur une structure de délinquance assez semblable. Près de 50 % des faits proviennent de la délinquance routière, contraventions comprises. Le non respect du Code de la route génère donc une masse importante. L'autre moitié se répartit assez équitablement entre les atteintes aux biens et les atteintes aux personnes.

Si certains quartiers clermontois pouvaient par le passé concentrer les faits répréhensibles, peut-on dire aujourd'hui que la délinquance s'est étendue à la ville entière ?

Il faut relativiser les choses. Les quartiers nord, le secteur de la gare ou celui de Saint-Jacques concentrent parfois le plus de difficultés, alternant poussées et périodes plus calmes. Il est certain que l'assassinat en pleine rue, il y a quelque temps, de ce jeune trafiquant de stupéfiant à la Kalachnikov demeure très marquant. Mais ce phénomène est marginal. On peut dire globalement que le centre-ville clermontois reste très paisible.

La période de confinement a-t-elle marqué un frein ?

Les gens, y compris les délinquants, ont plutôt respecté le confinement (itw réalisée avant le second confinement). Il y a eu énormément de contrôles de police et de gendarmerie. Globalement, la délinquance a chuté de manière très importante durant cette période. (Avec le sourire...) ce retard, on ne le rattrapera pas d'ici à la fin de l'année et tant mieux ! Cependant, on a noté au niveau des statistiques plus de violences intrafamiliales. Phénomène qu'il faut nuancer car avec l'absence de délinquance, les forces de l'ordre en ont profité pour essayer de « vider » les procédures qu'elles pouvaient avoir en stock. Et parce que cela leur a été demandé, elles ont été aussi beaucoup plus réactives sur ces problèmes.

Que pensez-vous de la vidéo-surveillance ?

Nous sommes tous un peu « biberonnés » aux séries télé. On se dit finalement que la science permet tout. L'ADN, les empreintes digitales, tout ça est important mais dans 80 % des affaires, c'est une enquête à l'ancienne qui permet d'élucider les faits. Ce type d'enquête repose avant tout sur des témoignages. Mais une personne peut avoir sa propre subjectivité, ne pas avoir tout vu ou se tromper sur les couleurs, et bien, quand on la remplace par une caméra, là, c'est fiable. Si l'on veut protéger les lieux, la vidéoprotection est extrêmement utile en termes d'enquête judiciaire. Sans caméras, il y aurait moins d'enquêtes résolues, très clairement.

Le nouveau Préfet a dit qu'il travaillait beaucoup avec les Procureurs de la République, avez-vous pu le rencontrer ?

Oui bien sûr. On se voit au minimum une fois par semaine. S'il y a quinze ou vingt ans, les préfets avaient tendance à travailler sur la sécurité publique et les procureurs sur le traitement de la délinquance, aujourd'hui, nous avons une conception plus globale des choses. Il s'agit d'une chaîne. La délinquance n'est qu'un versant de la sécurité ou de l'insécurité en l'occurrence. En fait, cela fait une dizaine d'années que l'on travaille plus étroitement ensemble.

Quelles sont les deux ou trois affaires qui vous ont marqué depuis que vous exercez vos fonctions à Clermont ?

Ce ne sont pas forcément les plus médiatiques. Je repense à ce jeune, tué à l'occasion d'une rixe. Il a fini ses jours dans le sas d'entrée d'une banque à proximité de la place de Jaude. Tout cela est bien triste. J'évoquerai aussi cet autre meurtre, où un jeune étudiant est décédé d'un coup de couteau porté a priori par un autre étudiant d'origine turque. Ce dernier s'est enfui en Turquie et nous n'arriverons certainement jamais à mettre la main dessus. C'est toujours très douloureux pour les familles des victimes. Mais il y a beaucoup de pays qui n'extradent pas leurs nationaux.   

Est-ce difficile de garder un certain détachement face à des faits qui peuvent se révéler sordides ?

La difficulté d'un magistrat du Parquet, c'est d'être confronté quasi-exclusivement à la face noire de l'être humain. Au fond, on ne voit que la délinquance. Il est donc important d'avoir un bon équilibre personnel, familial et amical. Etre capable aussi de débrancher. Dans la réalité, on ne décroche jamais vraiment. Mon téléphone professionnel, je le porte 24h/24, y compris en vacances. Je lis mes e-mails le matin au petit déjeuner, le soir avant de dîner et ce, 365 jours par an. Il arrive parfois que certains d'entre nous aient recours à des psychologues après avoir été confrontés à des faits particulièrement horribles.       

On imagine qu'au travers de vos fonctions, vous pouvez être exposé aux pressions, comment gère-t-on cela ?

Il faut distinguer la nature des pressions. Il y a une pression compliquée à gérer, mais assez normale somme toute, c'est la pression sociale liée à un événement. Celle-ci peut se traduire très vite par une pression politique, déclinée dans les différents ministères, et qui se traduit par une pression professionnelle. Il y a aussi la pression médiatique, laquelle peut-être difficile. A Clermont, je ne l'ai jamais vraiment subie. Je l'ai connu par contre à Annecy avec la tuerie de Chevaline. Mais nous avons quand même des outils pour gérer cela, y compris en termes de formation. Ces dernières années, nos ministres successifs ont souhaité que l'on s'exprime davantage. Personnellement, je me suis plus exprimé à l'égard des médias il y a quelques années que maintenant. Je deviens plus prudent, surtout depuis que la pression des réseaux sociaux augmente. Qui plus est, il arrive parfois que certaines personnes épient votre communication publique pour tenter de vous déstabiliser. Enfin, on peut penser aux pressions politiques ou autres. Personnellement, je n'en ai pas connu.       

Croyez-vous encore en l'espèce humaine ?

(Avec le sourire...). Oui, dieu merci. Il le faut car autrement, ce serait terrifiant. Ce que je trouve désolant par contre, c'est la bêtise humaine. Heureusement, ce n'est pas encore une infraction sinon, je ne sais pas comment nous ferions.   

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