Jean-Marc Grangier « Quand on va au spectacle, on ne perd jamais son temps »

[caption id="attachment_217442" align="aligncenter" width="800"] Le directeur de la Scène nationale, ici dans la friche du futur lieu identitaire, consacre un important volet aux spectacles familiaux © J.-L. Fernandez[/caption]
Pour sa 21ème saison, la Comédie de Clermont – Scène nationale ne déroge pas à sa philosophie avec une programmation ouverte, plurielle et accessible à tous. Même à ceux qui n’ont jamais mis les pieds dans un théâtre.
I – Vous avez proposé plus de 10.000 places supplémentaires à la vente la saison dernière, avec un taux de remplissage de 94 % et une progression de 17 % de nouveaux abonnés. A quoi attribuez-vous ce succès populaire ?
J.-M. G. – Ce saut est énorme. Evidemment, je m’en réjouis. Peut-être était-ce l’effet anniversaire, mais je n’en suis pas certain. En fait, j’ai du mal à rationnaliser une telle avancée. Une chose est certaine : c’est le fruit d’un travail d’ouverture de longue haleine. Je ne supporte pas l’idée de l’entre-soi et je fais tout pour que la culture sorte de son petit milieu. Il faut la transmettre, en parler à ses amis, à sa famille, à ses collègues. Un jour, une personne m’a dit : « Ce que vous faites, ce n’est pas facile. Vous avez à lutter contre la culture de masse ». C’est vrai qu’aujourd’hui, les gens rentrent chez eux le soir et allument la télévision. Mais sur un écran, les images sont plates. Il n’y a pas d’échange humain, mais un enfermement désincarné. Et les émissions culturelles sont rares, à part à des heures indues. C’est la raison pour laquelle nous tenons à présenter des artistes du vivant qui ne sont pas forcément connus du grand public, à travers une programmation non pas élitiste mais très ouverte. Chacun fait son marché et prend le spectacle qui l’intéresse le plus.
I – Les familles vous sont de plus en plus fidèles…
J-M. G. – C’est vrai. Pour certains, un spectacle familial est une manière de commencer à venir, de découvrir la programmation. C’est important de venir au théâtre dès le plus jeune âge pour reparler de son expérience, pour partager son point de vue, pour échanger entre générations. C’est la raison pour laquelle nous proposons du spectacle pour les plus jeunes et en week-end. Ce volet familial est primordial.
I – Quels spectacles faut-il voir en famille en 2017-2018 ?
J.-M. G – Par exemple, le cirque Eloize avec « Saloon ». Je citerais aussi « Alice » de Josette Baïz. 23 danseurs de 9 à 13 ans se partagent la scène. Pour les enfants dans la salle, c’est extraordinaire de voir des jeunes de leur génération s’engager ainsi. Les plus jeunes – et leurs parents - se régaleront également avec « Le Petit Chaperon Rouge » de Joël Pommerat. Quant aux ados, je les invite à découvrir le « Roméo et Juliette » du ballet Preljocaj, avec des décors et costumes de l’auteur de BD Enki Bilal sur une partition de Prokofiev. J’en oublie forcément, comme « Our House », sur le Rwanda, ou « Bigre », un spectacle muet complètement déjanté et drôle.
I – Que dîtes-vous à ceux qui n’osent pas, ne veulent pas ou ne pensent pas à venir au spectacle ?
J.-M. G. – Ils se condamnent d’avance à passer à côté de certaines découvertes, à ne pas vivre certaines aventures émotionnelles. C’est quand même dommage ! Ne peut-on pas s’autoriser, quelques jours par an, une échappée pour aller voir un spectacle qui pourrait vous secouer un peu, vous amuser, vous intéresser ? C’est important d’aller vers quelque chose qui surprend, qui apporte des émotions, qui fait rire, pleurer, réfléchir. Pour en profiter, il faut surtout abandonner toute idée de chercher à comprendre quoi que ce soit. Cela n’a aucune importance. Il ne faut pas se mettre cette barrière-là. Pour rentrer dans la salle, il faut juste se faire confiance, oser et accepter d’être surpris. Car le spectateur a besoin d’un choc. Il ne faut pas forcément chercher ce qu’on aime, ou ce qu’on a déjà connu.
I– Quel spectacle de la saison recommanderiez-vous à quelqu’un qui n’a jamais mis les pieds à la Comédie ?
J.-M. G. – (il réfléchit). Maissiat. C’est une artiste magnifique. Elle parle au public, elle le regarde, elle créé avec lui une relation d’intimité et de proximité. Je pense que les spectateurs assis face à elle se sentiront moins seuls. Ils rencontreront quelqu’un. On ne peut pas sortir indifférent de ce spectacle, ou avec la sensation d’avoir perdu son temps. Pour nous découvrir, petits et grands peuvent aussi se rendre aux soirées d’ouverture et de clôture. Ce sont ses spectacles gratuits sur la place publique. Et une belle manière de comprendre ce que nous faisons.
I – Vous écrivez dans l’édito de la brochure que « les moments passés dans les théâtres ne sont jamais perdus ». Pour quelles raisons ?
J.-M. G. - On perd trop son temps en allant à la Poste, en faisant les courses, en achetant à manger, en faisant la vaisselle… Quand on va au spectacle, on ne perd jamais son temps. Déjà, cela suppose de faire un mouvement, de sortir de soi-même, d’aller vers les autres. On va voir, regarder, écouter, quelque chose qui ne vient pas à nous. C’est le mouvement de la vie. Mais le spectacle vivant a surtout ceci d’extraordinaire qu’il permet de voir des artistes en chair et en os. C’est vraiment une expérience unique et je me bats pour que le public n’ait pas la sensation de perdre son temps et son argent. Je pense que la qualité de la programmation mérite une forme d’attention et d’investissement.
I – Quid du lieu identitaire ?
J.-M. G. – L’annonce de sa construction a été un bon coup de projecteur. Elle a permis de nous faire connaître. Le bâtiment commencera à sortir de terre à l’automne. L’ouverture est toujours prévue pour l’automne 2019. Mon souhait, c’est d’ouvrir le lieu et de prendre ma retraite. J’aimerais bien finir la saison 19-20, ou partir en janvier 2021. Dans l’idéal, je voudrais assurer le budget de fonctionnement, assurer l’état de marche total du bâtiment et assurer la bonne adoption des lieux par l’équipe et le public. Il faudrait aussi laisser le temps du recrutement de mon successeur, pour que je puisse faire une petite passation.
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