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"Gojira , c'est de la puissance brute alliée à l'émotion qui leur est propre, c'est colossal."

11h00 - 29 octobre 2025 - par Info Clermont Métropole
Pio Marmaï, Christian Andreu, le guitariste et Jean-Michel Labadie, le bassiste de Gojira et Jean-Charles Desgroux l'auteur du livre, lors de la remise des Foudres, les Césars du metal.  - © DR

Journaliste et écrivain spécialisé dans le rock et le Heavy metal, Jean-Charles Desgroux vient de sortir le livre "Gojira : les enfants sauvages" aux éditions Le mot et le reste. L'unique et essentiel ouvrage sur l'histoire du groupe de metal français venus des Landes, sensation des JO de Paris qui sera sur la scène du Zénith d'Auvergne le vendredi 5 décembre prochain avant une tournée mondiale avec Metallica en 2026. Entretien. 

On imagine que l'idée d'un livre germait déjà avant leur prestation lors de la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques de Paris. C'était le bon moment avant leur tournée ?

Ce livre, c'est l'ascension spectaculaire d'un groupe vers la réussite, un groupe de bosseurs. J'ai découvert le groupe en chroniquant le 2e album de Gojira en 2002-2003. Après je les ai rencontrés plusieurs fois chez-eux dans les Landes. Étant de Biarritz, on habitait à quelques kilomètres de distance seulement. Cela faisait 6 ou 7 ans que l'on avait eu l'idée avec mon éditeur de faire un ouvrage sur Gojira. L'idée première était de faire un livre d'entretiens, uniquement basé sur du question-réponse comme on avait fait avec Miossec. On a soumis l'idée au management mais malgré plusieurs relances, c'est resté lettre morte donc on a laissé tomber l'idée. Mais oui, c'est vraiment au lendemain des JO que mon éditeur m'a appelé pour confirmer que c'était le bon moment et que si ce n'était pas avec leur concours, car c'est devenu aujourd'hui compliqué d'obtenir des entretiens longs, ce serait une biographie écrite de manière journalistique. On a mis les bouchés doubles pour que cela sorte avant la tournée. Il y a eu un alignement des planètes entre les JO, les Grammy Awards et la tournée française puis européenne à l'été 2026. La tournée française compte 12 dates (+ Carcassonne cet été), cela représente 100 000 billets ce qui est tout à fait colossal pour un groupe de ce genre. Gojira sera encore d'actualité en 2026 avec notamment les 30 ans du groupe.

Il n'existe aucun livre sur ce groupe. Ce n'est pas pour dire "on est les premiers" mais il est temps d'offrir à ce groupe un manuscrit digne de raconter leur histoire. C'était le moment parfait.

Aujourd'hui Gojira est une grosse machine sous le joug d'un grand management américain qui gère les affaires de Ghost, de Slayer et Mastodon, des cadors du Heavy metal moderne. On est dans la première division du metal. Autant ils sont extrêmement simples et gentils, cool et terre à terre, mais en termes de structure c'est compliqué de les avoir pour une collaboration.

"Il n'y avait qu'un groupe de metal pour incarner cela. Il fallait de la colère, de la puissance, du feu et du sang, des gars en noir qui braillent avec la jugulaire saillante et c'est ça la colère du peuple français que l'on retrouve au quotidien lors des manifestations dans la rue."

On dit souvent que Gojira est plus connu et reconnu à l'étranger qu'en France. Les JO ont porté un éclairage sur le groupe dans l'hexagone ?

Complètement. Gojira est en 1re division du metal et à l'étranger, ils sont consacrés partout, que ce soit au Japon, aux USA, en Amérique du Sud et en Scandinavie, toutes les terres fertiles en termes de metal. En France, il a toujours plu à la communauté de metalleux mais plus underground, avec une grande résonance et une fierté de leur part mais cela restait circonscrit à ce cercle sans aucune visibilité de l'extérieur. À l'exception quand même de certains médias généralistes à partir du 6e album Magma en 2016. Une brèche s'est ouverte grâce à certains médias sympathisants du Hellfest ou d'une communauté metal qui ont voulu mettre en lumière le côté bon enfant, démystifier le côté Dark, pseudo-sataniste et provocateur du genre comme le magazine Quotidien de Yann Barthes qui les a invités plusieurs fois et suivis à Los Angeles lors des Grammy Awards. Il y a eu une exposition grand public qui a favorisé la lumière autour de Gojira dans notre pays et on a commencé à voir qu'il y avait un public en dehors de la sphère metal habituelle qui s'intéressait au groupe. Et avec les JO, des dizaines de millions de gens ont regardé la cérémonie et ont été séduits par la puissance que dégageait Gojira et qui allait de pair avec des artistes qui devaient incarner la Révolution française. C'est une page incontournable de l'Histoire de notre pays, les Français n'ont jamais oublié cette période et il y avait une sorte de fierté de voir ce moment représentée à la télévision pour marquer de façon artistique notre culture, notre pays, notre histoire. Il n'y avait qu'un groupe de metal pour incarner cela. Il fallait de la colère, de la puissance, du feu et du sang, des gars en noir qui braillent avec la jugulaire saillante et c'est ça la colère du peuple français que l'on retrouve au quotidien lors des manifestations dans la rue. On a encore ce petit côté révolutionnaire en nous et Gojira a séduit car on ne pouvait pas mettre quelque chose de mièvre. Je ne sais pas si tous les Français qui ont découvert Gojira le 26 juillet 2024 sont devenus des fans du groupe ou de metal mais ils ont exprimé une forme de curiosité et de sympathie vis-à-vis du groupe. Aujourd'hui, tu poses la question à dix Français tu en as 8 au moins qui connaissent. Cela les a marqués.

C'est un groupe qui a grandi avec Metallica comme référence mais est-ce qu'il y a des clés pour apprécier leur musique ? Ne manque-t-il pas un "tube" pour se faire encore plus connaître ?

C'est une bonne question car effectivement, l'un des modèles d'intégrité et de déploiement, c'est Metallica, c'est une sorte d'absolu pour eux. Il n'y a rien au-dessus. Dès le début Gojira ne s'était fixée aucune limite et il y avait une décomplexion totale, ils étaient persuadés qu'ils allaient y arriver. Il n'y avait aucun mur pour eux. Quoi qu'il en coûte on va y arriver. Dans cette détermination, Metallica était leur groupe modèle. Après, dans leur évolution, pour Metallica, on peut parler de concession ou de maturité dans l'écriture mais Gojira n'a pas cédé à l'écriture d'un morceau qui serait plus facile et qui permettrait de séduire un public extérieur à un public metal qui est lui habitué aux codes propres à cette musique. Mais encore une fois, avec l'album Magma, ce n'est pas leur Black Album (l'album de Metallica sorti en 1991 qui a conquis le grand public avec des titres comme Enter Sandman ou Nothing Else Matters N.D.L.R.) mais c'est un disque vraiment plus accessible, plus épuré et où la fibre émotionnelle du groupe est encore plus à fleur de peau, plus palpable, avec des morceaux plus simples, plus ramassés et qui se rapportent plus au format chanson de quatre minutes, là ou Gojira pouvait faire des morceaux plus longs et plus complexes pouvant rebuter l'amateur de musique plus "pop" au sens large du terme. Cet album a permis à Gojira de proposer une écriture plus simple et plus accessible avec un son plus chaleureux et lisse. Beaucoup de gens ont pu rentrer dans l'univers de Gojira grâce à Magma. Mais il n'y a pas de tube sinon des morceaux de cette époque-là systématiquement joués en concert. Mais non, il n'y a pas d'Enter Sandman ou de Nothing Else Matters de Gojira pour l'instant... Est-ce que c'est possible ? Est-ce qu'ils en ont envie ? Quand on est Gojira est que l'on fait une musique hautement technique et émotionnelle, je n'en sais rien. Est-ce que le 8e album qui sortira sûrement au printemps prochain proposera ce titre maintenant que le public est plus habitué à eux ? Mais effectivement, peut-être qu'il leur manque LE morceau universel intergénérationnel pour s'inscrire dans l'histoire du rock. Leurs derniers albums Magma et Fortitude permettent d'avoir quelques clés pour comprendre leur monde et cela permet d'aller plus loin. Mais rentrer dans leur univers avec The Link (2003) ou The Way of All Flesh (2008), c'est plus compliqué.

D'ailleurs vous proposer une liste de morceaux pour écouter avec le livre ?

Oui j'ai mis cela sur Instagram pour permettre au grand public, curieux, car l'une des cibles du livre c'est aussi le grand public. Il s'adresse aussi bien à des fans qui peuvent y trouver un condensé de l'histoire du groupe de A à Z, avec des détails qui auraient pu leur échapper, qu'à une cible plus élargie qui a découvert le groupe plus récemment. Ce livre permet de rentrer dans cet univers avec aussi ces 10 morceaux permettant d'aborder le groupe et de bien représenter leur palette artistique.

"Une grande partie de leur colère intérieure est due à ces observations et au fait qu'ils soient révoltés de ce que l'homme a fait de notre planète"

2024 c'était les JO mais aussi une année de combat pour faire libérer Paul Watson, fondateur du mouvement Sea Shepherd, enfermé dans les prisons du Groenland pour avoir intercepté un navire-usine baleinier japonais... La lutte pour protéger l'environnement, les peuples amérindiens ou la faune, c'est aussi un volet indissociable de leur vie et de leur philosophie, eux qui ont grandi près de l'océan ?

C'est une des thématiques les plus importantes du groupe depuis le premier album. La conscience de leur environnement. Et une grande partie de leur colère intérieure est due à ces observations et au fait qu'ils soient révoltés de ce que l'homme a fait de notre planète. Je m'inclus dedans car j'ai grandi dans les mêmes paysages. Tu pourrais croire que le sud ouest de la France, la forêt des landes, les dunes, c'est la carte postale idéale mais quand tu grattais un peu, tu te rendais compte que c'était une région extrêmement polluée. Eux, gamins, ont été très vite confrontés à cette pollution au quotidien. Eux en ont beaucoup souffert d'un point de vue émotionnel mais également physique. Mario Duplantier, le batteur, avait des otites à répétition quand il se baignait gamin et cela a endommagé son tympan. Cela était dû aux microparticules dans l'eau. Ils ont eu un engagement intellectuel, moral et émotionnel tout au long de leur carrière. Ils n'allaient pas parler de zombies, d'apocalypse nucléaire ou d'épouvante comme la plupart des groupes de Death metal dont ils s'inspiraient avant. Leur combat était à la fois philosophique avec un questionnement sur soi et aussi sur l'environnement. Grâce à leur notoriété et à la tribune dont ils ont bénéficié avec leur popularité, ils ont pu prendre part à des engagements "politiques" comme ils l'ont fait au Brésil. Joe Duplantier chanteur guitariste, à l'image de son modèle, Max Cavalera de Sepultura, s'est engagé pour la défense et la sauvegarde des peuples autochtones d'Amazonie et de sa forêt. Mais également aux côtés de Paul Watson sous l'impulsion de Joe Duplantier qui s'est découvert une passion pour l'organisation de Sea Shepherd. Il s'est dit qu'il ferait tout, grâce à sa petite notoriété pour s'engager à leurs côtés et en être un ambassadeur. C'est aussi bien présent dans leurs paroles que dans leurs actes. Ce n'est pas une façade, quitte à se déplacer et à manifester pour prendre part à des actions non violentes mais intellectuellement nourries par des convictions propres depuis l'enfance.

"C'est de la puissance brute alliée à l'émotion qui leur est propre, c'est colossal. Tu sens cette émotion dans certaines notes et dans la voix. C'est inédit comme groupe. Il faut voir ça en live pour comprendre ce qu'est le metal. Un groupe original, il n'y a pas d'autre groupe comme eux. "

Que peut-on attendre de cette tournée et de leur passage à Clermont ? Dans les arènes de Nîmes, dans la Cité de Carcassonne ou en zénith, c'est toujours une claque en live ?

Je les ai vus à l'Ocean Fest en 20024 à Biarritz, festival organisé par Hugo Clément et en juillet dernier à Birmingham pour le concert évènement hommage à Ozzy Osbourne avec des Anglais survoltés de voir Gojira chez-eux aux côtés des plus grands groupes de hard rock et de metal. J'ai hâte de les retrouver pour plusieurs dates de cette tournée d'automne historique. Car jamais un groupe de metal aussi virulent n'a investi les routes françaises à une telle échelle avec 100 000 billets vendus. C'est colossal, équivalent à ce qu'a fait Metallica en mai 2023 en jouant deux soirs en trois jours au Stade de France. Et on va vers une tournée complète. Gojira a promis pour les fans français d'amener toute leur grosse production digne des monstres du metal avec un visuel qui claque. Quand tu joues en 1re division il faut balancer la sauce avec de la pyrotechnie, de superbes lumières et scénographie. Pour les avoir vus plusieurs fois en vingt ans, c'est un bulldozer, c'est massif. Je n'ai jamais entendu un concert de Gojira avec un son faible et mal équilibré. C'est de la puissance brute alliée à l'émotion qui leur est propre, c'est colossal. Tu sens cette émotion dans certaines notes et dans la voix. C'est inédit comme groupe. Il faut voir ça en live pour comprendre ce qu'est le metal. Un groupe original, il n'y a pas d'autre groupe comme eux. Ce sont des sportifs de haut niveau, pareil, avec un mental et une discipline d'athlètes, très loin du "sexe, drogue et rock'n'roll" un peu cliché du milieu.

Quand est-ce que l'élève dépassera le maître Metallica ?

Symboliquement dans leur tête ils aimeraient je pense faire un Stade de France. Ils l'ont déjà fait en ouverture Metallica en 2012 pour les 20 ans du Black Album. J'avais interviewé Gojira dans les vestiaires de l'équipe de France de football, ils n'en revenaient pas. Pour un petit groupe de Ondres dans les Landes c'était incroyable, même jouer 35 minutes. Mais aujourd'hui, il n'est pas fou d'imaginer, à l'issue de la tournée qui suivra le 8e album en 2026, ou dans les années suivantes, qu'ils terminent en apothéose dans un Stade de France.

"Les enfants sauvages" aux éditions Le mot et le reste, 256 pages, 22 euros. Concert le vendredi 5 décembre. Billets sur www.arachnee-concerts.com ou www.gdp.fr. Avec Comeback Kid et Neckbreakker en premières parties.

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